Savoir se souvenir
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Savoir se souvenir que d’autres hommes ont existé avant nous.
Savoir se souvenir de ce qu’ils ont créé, construit, imaginé.
Savoir se souvenir, avec dignité, pour honorer l’histoire.
C’est l’état d’esprit qui devrait être le nôtre, nous saint-hilairiens, quand commence la construction de
ce qui sera le nouvel hôpital. Nouvel pour rappeler que quelque chose existait avant. Un bâtiment construit au début du XXe siècle pour les
indigents : c’était un hospice. Puis, en pleine guerre, l’enthousiasme d’un homme qui a pris ce bâtiment à bras le corps pour en faire un hôpital :
d’un mouroir, il voulut faire un lieu d’espérance. La vie se substituait, au moins provisoirement, à la mort. Quelque chose commençait à
changer à Saint-Hilaire.
Avril 1942, Mme Bliard est sur le pas de sa boulangerie-pâtisserie, place Nationale. En face, au carrefour, le marché
aux bestiaux est bien achalandé en ce mercredi. La guerre ? Ces soldats allemands poliment autoritaires. Ne sont-ils pas les vainqueurs !
C’est aussi ce jeune chirurgien de 30 ans, le Docteur Daniel Cuche, Oui ! c’était mon père, qui a décidé de s’installer là où il n’y avait rien,
encouragé à très peu de frais par le maire de l’époque. Il fallait, au choix, un enthousiasme débordant, ou un grain de folie pour décider de
pratiquer la chirurgie en un lieu dépourvu de tout. C’est aussi le talent des meilleurs hommes de savoir dépasser un réel médiocre pour
entreprendre et réussir.
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Avec les années, après le service de chirurgie, se crée une maternité (134 naissances
en 1951), où les femmes opérées par césarienne ne meurent plus d’infection, ce qui fut rapidement attribué, à juste titre, à l’habileté du chirurgien,
puis un service de radiologie, un service de médecine, un laboratoire d’analyses médicales. Bref, ce qu’il est convenu d’appeler un hôpital qui
ira jusqu’à employer près de 300 personnes. Un hôpital qui continue à parler aux hommes. Il y a quelques mois, poussant mon caddy chez Leclerc,
une dame d’une belle cinquantaine, petite soixantaine peut être, arrête le sien et me dit : « J’avais cinq ans et mal au ventre. Mes parents
m’emmenèrent à l’hôpital. Le docteur m’a pris dans ses grands bras. Je n’ai pas eu peur ! » Puis elle reprit son chemin. Quand viendra le
temps de décider du nom du nouvel hôpital de Saint-Hilaire-du-Harcouët, il ne serait pas inconvenant qu’on le nommât
« Centre Hospitalier Daniel Cuche ».
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Deux ans plus tard, c’est le printemps des bombardements, des incendies, le printemps d’une ville rasée à 75%.
Celui du désespoir pour toute une population. C’est l’été où le Docteur Daniel Cuche est nommé maire de Saint-Hilaire par le préfet de la Manche
avec pour seule feuille de route : « Débrouillez-vous pour reconstruire cette ville ». Avec une poignée d’hommes et de femmes, avec
Raymond Guillaume, secrétaire de mairie, son épouse Evelyne, secrétaire du maire, décédée il y a peu, on ne va pas travailler.
Non ! on va marner. Marner tous les jours de la semaine, toutes les semaines pendant des mois. Chirurgien le matin, maire l’après-midi,
négociateur le soir, père à l’occasion. Saint Hilaire va être une des toutes premières villes du département de la Manche, sinon la première, à
être reconstruite. La République saura reconnaître l’exemplarité de l’action menée : à 38 ans le Docteur Daniel Cuche est fait chevalier de la
Légion d’Honneur à titre civil.
A Saint Hilaire, on aurait pu se souvenir au moins du service rendu. Donner son nom à une belle place ou à une rue
d’importance. Non ! On a pris ! On a ignoré ce que cela avait coûté d’efforts, ce que cela avait coûté de volonté, de générosité. On a pris
sans vergogne, trouvant même, parfois, que cette nouvelle réalité était insuffisante.
Oui !, nous nous honorerions à nous souvenir de cet homme. De ce qu’il a fait pour notre ville. Nous nous
honorerions en lui disant simplement merci.
Docteur Jean-Louis Cuche
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