Ce dont je voudrais vous parler n’est rien d’autre qu’un retour, non pas sur image comme on le dit maintenant, mais sur un mode de vie , bien loin de ce que nous connaissons aujourd’hui puisque c’est grosso-modo celui qu’ont connu les grand-pères de nos-grand-pères, pour les personnes de ma génération, et que cela remonte donc au 19ème siècle, et plus précisément de 1830 à 1864 .

     Pourquoi une telle précision vous demandez-vous ? tout simplement parce que mon propos est basé sur une correspondance adressée par un fils à ses parents et qui s’étale sur cette période.

     Les parents, ce sont François et Léontine. Ils sont agriculteurs dans notre région , et sont, en apparence plutôt aisés.

     Le fils, c’est Julien, qui était censé prendre la suite de ses parents à la ferme mais qui s’est avéré suffisamment doué pour briguer une meilleure situation que celle de paysan. Et en effet, après avoir fait les études nécessaires, il a pu devenir fonctionnaire dans les douanes avec une première affectation à La Rochelle, en Charente Inférieure où il s’est rendu par diligence, seul moyen de locomotion de l’époque.

     Mais me direz-vous encore, quel intérêt peuvent présenter de simples lettres à vocation familiale ? – C’est tout simplement que Julien avait la plume facile ( on écrivait effectivement avec des plumes et de l’encre ) et qu’il n’était pas avare du tout de renseignements sur son quotidien qui, du fait de son ambition notoire, s’est révélé peu banal au point de finir sa carrière à l’Ile Bourbon devenue l’Ile de la Réunion où il a notamment vécu l’abolition de l’esclavage en 1848.

     Bien évidemment, le but n’est pas de procéder à la lecture de toutes ces lettres qui, pour certaines, ne présentent pas un intérêt majeur dans leur intégralité ou en partie, mais d’en extraire des passages qui sont le reflet de l’ évolution de Julien aussi bien au niveau de sa carrière qu’au plan familial, Et vous constaterez que parfois, il ne reculait devant rien.

     Son premier courrier est daté à La Rochelle du 28 avril 1834 où l’on peut lire : " Je suis arrivé à La Rochelle le 26 avril au soir. Je me suis adressé au bureau de Monsieur le Directeur des douanes de La Rochelle qui m’a reçu avec une grande considération. Il me fait écrire, calculer et m’a demandé si je savais dessiner et arpenter. Ensuite, il m’a dit : vous êtes de quatre mois trop jeune mais avec votre savoir, je vous placerai d’ici vos vingt ans au poste de La Lauzières et vous ne commencerez à toucher vos appointements que le premier juillet. Je serai éloigné de vous d’au moins 100 lieues. "

     Un mois plus tard, ( lettre du 29 mai ) Julien note ses premières observations, il dit notamment : " L’on vit où je suis de toutes espèces de poissons qui n’est point cher, de viande qui est plus chère que chez nous, de sourdour qu’on nomme coque chez nous, de la lerre ( poisson semblable à la raie ) de limaçons qu’on regarde comme les meilleurs mets du monde….. là, le rossignol est aussi commun que y est le moisteron chez nous. J’ai un pressant besoin de ma malle. Vous serez obligé de la porter à Avranches au bureau des messageries Laffitte et Caillard. Vous mettrez dans la malle tous les papiers et livres qui y sont, une douzaine de chemises des plus belles, mon bésou et ma grammaire, mes souliers et de la graisse pour les graisser, des bas de laine s’ils sont raccommodés , mes petits chaussons, ma boîte qui se ferme à secret…… Je vous prie de mettre par curiosité une poignée de sarrasin, deux traux et un garot…..

     Et d’ajouter:" Les habitants presque tous riches y sont mal civilisés, les femmes y font des serments abominables. Tous les dimanches et fêtes, il y a des danses…….. Je risquais voilà 15 jours de m’embarquer pour les Indes. J’aurais tenu le registre du capitaine qui me donnait 600frs pour la première année, nourri, couché, blanchi – ce prix ne m’a point tenté car je me serais éloigné de vous d’environ 1800 lieues et j’aurais perdu l’espérance de vous revoir. "